L’accident du travail coûte cher à tout le monde

« Accusés, levez-vous. » Dans une halle du centre de congrès de Forum-Fribourg pleine à craquer jeudi 31 août dernier, cinq cent trente personnes, patrons ou char-gés de sécurité d’entreprises et d’administrations romandes retiennent leur souffle.

L’accident du travail coûte cher à tout le monde

 

 

Grave et solennel, le Président du Tribunal va rendre le verdict du procès intenté au direc-teur de l’entreprise Patron & Fils SA, Jean-Paul Patron, au chargé de sécurité Yves Coor-dinateur et à Pierre Bosseur, magasinier dans cette entreprise où régnait une ambiance en­ tre inculture crasse en matière de sécurité et véritable culture de l’insécurité. Tous étaient impliqués dans un grave accident qui a laissé un adolescent de 17 ans estropié à vie après une chute de quatre mètres. Et tous l’ont payé très cher, au plan pénal comme au plan civil.

Un procès véritable aurait abouti au même résultat
Le procès était fictif, organisé par la Suva dans le cadre de la campagne « Apprentissage en toute sécurité », mais il était d’un réalisme ex-trême. Présidé par un véritable président de tribunal, Jean Daniel Martin, il opposait un authentique procureur, Franz Moos, et de vrais avocats, MM. Laurent Etter, Yves Nicole et Pierre-André Oberson pour la défense, Luc Pittet pour l’apprenti. Le directeur Jean-Paul Patron était interprété par Jean-Daniel Wicht, directeur de la Fédération fribourgeoise des entrepreneurs, patron des patrons fribour-geois. Côté résultat, le caractère implacable-ment logique des condamnations ne laisse pas de doute : un procès véritable aurait abou-ti au même résultat, ce qui a sans doute forte-ment impressionné les participants à cet « Event Tribunal 2017 », et leur a fait toucher du doigt les risques énormes qu’il y a à tolérer des situations dangereuses au travail.

Un ordre fatal
Ce matin-là, c’était le stress chez Patron & Fils SA, où une grosse commande devait partir d’urgence. Comme par un fait exprès, l’ap-prenti Tom Victime avait fait la fête la veille au soir. Arrivé en retard, fatigué et encore alcoo-lisé, il s’est fait remonter les bretelles par tout le monde. Pressé par le temps, Bosseur l’a obligé, malgré ses réticences, à monter sur une palette enfourchée sur son élévateur

 

«Une ambiance entre inculture crasse en matière de sécurité et véritable culture de l’insécurité.»

 

pour chercher du matériel sur un rayon à quatre mètres de haut. Une manœuvre dan-gereuse et interdite, qu’il effectuait souvent malgré les remontrances de Coordinateur. Victime a perdu l’équilibre et a chuté sur le sol, se brisant le bassin, ce qui laissera cet es-poir du cyclisme romand boiteux, souffrant de vives douleurs et handicapé à vie. L’en-quête a révélé que le directeur et le chargé de sécurité savaient que Bosseur avait l’habitude de faire cela pour gagner du temps et le tolé-raient tacitement par leur inertie. Aucun des deux n’a réagi de manière efficace, Patron re-fusant même de payer au magasinier la for-mation nécessaire de conducteur de chariot élévateur. Quant à Coordinateur, il n’avait pas été à la hauteur de sa responsabi­lité en ne pre-nant pas de mesures efficaces pour empêcher l’incorrigible Bosseur de mettre ses collègues en danger.

Les coûts d’un accident
Un accident coûtera toujours plus, en temps, en argent et ennuis divers, que les mesures qui doivent l’empêcher. Ce message est passé sept sur sept. Les trois responsables ont été condamnés au pénal sans indulgence, et avec des considérants cinglants. Le magasinier ­Pierre Bosseur, dont l’obstination à ignorer les consignes a causé directement l’accident, a été condamné à 150 jours-amende (à 40 CHF, soit 4800 CHF) avec sursis, une amende ferme de 500 CHF et 7800 CHF de frais de justice­. Le directeur Jean-Paul Patron a été condamné à 120 jours-amende (à 300 CHF le jour, soit 36 000 CHF) avec sursis, une amende ferme de 9000 CHF et 4557 CHF de frais de justice. Quant au chargé de sécurité Yves Coordinateur, il a failli à sa mission en se montrant­ trop mou, dans un contexte où il était pris entre le marteau d’un patron exi-geant et moyennement branché sécurité, et l’enclume d’un ouvrier un peu bas de plafond, qui persistait à violer normes et interdits pour

 

«Un accident coûtera toujours plus, en temps, en argent et ennuis divers, que les mesures qui doivent l’empêcher.»

 

gagner­ du temps et se simplifier la vie. Il l’a payé de 60 jours-amende (3600 CHF) avec sursis et de 2435 CHF de frais de justice.

Ne pas capable de dire « Stop »
Au civil, c’est pire encore : l’entreprise Patron & Fils SA a été condamnée à payer 540 000 CHF à l’apprenti. Quant à Coordinateur et Bosseur, ils devront rembourser à leur em-ployeur 20 et 50 % de l’indemnité versée par l’entreprise Patron & Fils, soit respectivement 106 000 et 265 000 CHF. Des sommes colos-sales qui ne couvrent même pas tout le dom-mage de Victime.

 

Fatigué et alcoolisé, l’apprenti n’était pas en état de travailler et aurait mieux fait de rester chez lui. Cet état l’a rendu incapable de dire « STOP » à l’ordre dangereux de Bosseur, comme le conseille la Suva. Voyant dans sa présence sur le lieu de travail une faute qui a également joué un rôle dans la survenance de cet accident, la présidente du Tribunal civil Mélanie Chollet-Humberset a réduit de 20 % les indemnités auxquelles il aurait eu droit, laissant à sa charge plus de 106 000 CHF.

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